LOVE IS NOT AN ORANGE

Au début des années 90, après l'effondrement de l'Union soviétique, la Moldavie a été frappée par une grave crise économique qui a contraint des milliers de femmes à partir à l’étranger pour trouver du travail. Eloignées de chez elles de manière prolongée, ces mères ont trouvé un moyen de rester en contact avec leurs enfants en leur envoyant de grandes boîtes en carton remplies de cadeaux. Ce geste est devenu un rituel pour de nombreuses familles. Remplacer leur présence par des biens matériels, a été pour ces femmes le seul moyen de maintenir le lien fragile avec leurs proches.

Cet exil féminin a coïncidé avec l'émergence des caméras vidéo. Ce nouveau moyen a aussi été utilisé par les familles pour combler le vide physique et émotionnel de la séparation. Souvent, les boîtes contenaient des cassettes montrant des moments de la vie quotidienne, tant en Moldavie qu’à l'étranger. Des images de fêtes d'anniversaire des enfants répondaient en écho, par vidéos interposées, aux scènes de la vie de leurs mères exilées dans des pays lointains et mystérieux.
Ces cassettes vidéo ainsi que les objets qui ont voyagé avec eux, sont devenus la trace toujours vivante d'un exil qui se poursuit encore aujourd'hui. Une fois grands, les enfants sont souvent eux-mêmes partis à l'étranger, en quête d’un endroit rien que pour eux et où ils se seraient sentis chez eux. Avec l'avènement des smartphones, il est devenu plus facile de rester en contact. Les vidéos ont laissés la place à des journaux visuels, des lettres parlées, toujours échangées entre des familles qui n'ont jamais réussi à se remettre ensemble. Mais comment maintenir malgré tout un lien avec quelqu'un dont l’absence, choisie pour votre propre bien, a marqué durablement votre enfance ? Comment arriver à échapper au poids d’une séparation de 20 ans qui a rempli votre maison d'objets mais a laissé votre cœur désespérément vide?